jan14th2020

CHARIVARI

Nous vivons, mon cousin, une époque troublée où tout le monde se sent mécontent de tout et le fait savoir à grands cris dans la rue. Il est devenu presque impossible de se déplacer dans la capitale, tant les embarras de la circulation empêchent les calèches d’avancer.

L’usage du simple mot retraite, qui n’a plus aucun sens militaire de nos jours, met en émoi toute une population, épouvantée à l’idée de vivre longtemps avec peu. Il est vrai, mon cousin, que nos aïeux n’avaient pas le loisir de s’en inquiéter, car ils passaient directement de l’atelier au cimetière.

Il semble que personne ne se réjouisse que la médecine d’aujourd’hui nous permette de vivre plus longtemps, et c’est pourquoi la vie après le travail est devenue un sujet d’inquiétude. Le travail lui-même étant souvent considéré comme une forme d’esclavage, nous avons eu la bonne fortune, sous le règne du marquis de Jarnac, promu monarque par la grâce du suffrage universel, de bénéficier le premier avril de l’an 83 du siècle vingtième, du passage de 65 à 60 ans de la fin du travail. Ce n’était pas un poisson d’avril, mais une initiative murement réfléchie du monarque, voulant ainsi satisfaire les jacobins et les sans-culottes de ses amis, et s’intéressant peu aux conséquences sur les finances du royaume.

Las, mon cousin, chacun sait qu’on ne peut dépenser plus qu’on ne gagne, mais cette vérité ne semble pas être entendue des nos monarques, et le royaume s’enfonce chaque jour un peu plus dans la dette ; et la cassette royale est aujourd’hui dans un état tel que l’argent manque pour rétribuer ceux qui ne travaillent plus.

Le bon peuple, qui a de la mémoire, auquel le monarque du siècle vingtième avait promis une retraite paradisiaque se voit dorénavant proposer un purgatoire par le nouveau prince du royaume. Il se demande encore pourquoi il a été floué et naturellement se met en colère.

Décidément, les décideurs ne sont jamais les payeurs, et savent échapper aux conséquences ; et comme la durée de la vie ne cesse de s’allonger, nous sommes encore loin d’être sortis de l’auberge, mon cousin.